(Extrait livre) Le chamane et le Christ - Daniel Meurois

Publié le par La porte est en dedans

UN LANGAGE D'ÂME...
Parce que nous avons trop délaissé la Terre-Mère et trahi la pensée et l'exemple de Ceux qui sont venus nous rappeler Son Union avec la Puissance Céleste, voici quelques lignes extraites du chapitre 1 de "Le Chamane et le Christ". Puissent-elles rejoindre celles et ceux qui sont prêts à ressentir le frisson d'un souvenir au cœur de leurs cellules...
"Ce fut à cette période que l’homme-médecine qui avait su identifier ma blessure secrète entreprit de me former à son art ou, plutôt, de m’aider à déchirer, les uns après les autres, les voiles de l’oubli qui m’avaient jusque là empêché de venir complètement au monde.
Dans notre peuple, il ne suffisait pas de voir le jour pour être totalement né. Il se disait que nos différentes âmes mettent parfois du temps à habiter notre corps à tel point d’ailleurs que, certaines d’entre elles, cachées dans les replis de la deuxième, n’y descendaient jamais ; elles ne le pouvaient pas ou le refusaient, provocant alors un rétrécissement ou un obscurcissement de notre masque, c'est-à-dire de notre personnalité(1) .
Je comprenais déjà un tel langage lorsque, pour la première fois, Tséhawéh – c’était son nom – m’emmena avec lui dans la forêt afin d’entamer mon instruction (2) . Ce fut très certainement l’expérience la plus décisive de ma vie car toutes les autres en dépendirent par la suite, même celle qui, plus tard, devait me faire entrer dans l’âge adulte.
Pour accéder à l’état qui m’avait été prédit par Tséhawéh, j’avais d’abord dû commencer par comprendre – pas dans ma tête mais dans mon cœur et mon ventre – que jamais, jamais je ne pouvais être seul en quelque lieu et en quelque espace que ce soit. Je ne le pouvais pas parce que tout était peuplé. Tout était doté d’une conscience, d’une respiration, d’une intelligence et avait donc sa raison d’être, sa fonction précise et sa destination. Je pouvais me sentir seul… mais l’être, certainement pas.
Vivre comme j’étais appelé à vivre, cela signifiait donc mêler tout mon être à cette réalité, l’intégrer à ma chair en modifiant ma façon de penser, en la contrôlant puis en me plaçant surtout, jour après jour, en union avec la connaissance du fait que tout ce qui constituait la Nature était de ma famille.
Au centre de l’instruction qui m’avait été promise, mon premier défi avait dès lors été de faire savoir aux Puissances naturelles que je connaissais cette parenté, cette vérité et qu’elles pouvaient ainsi m’accueillir pleinement en leur sein.
Comme je n’étais pas un dresseur de frontières et que je me savais à l’aube de cet état qui faisait de tout humain un enfant du Grand Esprit, elles devaient m’aider à briser mes résistances et à dissoudre les peurs qui pourraient surgir.
Jour après jour, j’avais donc appris à m’asseoir face à un rocher, à un arbre, face aux crépitements d’un feu la nuit ou encore dans l’eau jusqu’à la taille pour que "quelque chose" se passe en moi qui vienne parler à mon oreille de ma parenté absolue avec ce que j’observais et qui me recevait. J’avais aussi dû m’incliner longuement, à l’aube à peine naissante, devant le cerf et l’orignal, puis accueillir la respiration du putois jusque dans ma chevelure ou encore répéter à voix haute et en cadence le nom du Yänariskwa (3) dans l’espoir qu’enfin celui-ci apparaisse au couchant et se mette à chanter.
Tséhawéh avait été avec moi un homme de peu de mots mais de paroles justes et exigeantes. Quant à ma mère, prise par la culture de la terre comme toutes les femmes de nos villages, elle n’a plus compté les jours où je disparaissais, où j’étais "avalé par les bois" et en conversation avec le peuple de ses créatures."
(1) C’était ainsi que l’on expliquait certaines incapacités ou troubles mentaux.
(2) Tséhawéh signifie "Porteur de Lumière". Il est à l’origine du nom de famille Sioui.
(3) Le loup

 

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